C'est ici qu'il a écrit son livre...

ÉRIC PHILIPPE (1957)

 

Au cours de l’été 1982, je rendis visite à un vieux curé, cousin germain de mon père à Lantenne-Vertière dans le Doubs. C’était l’abbé Jean Garneret, fondateur du Musée d’art et traditions populaires de la Citadelle à Besançon, grand dessinateur à la plume et encre de chine des maisons et villages comtois. Il devait avoir 85 ans. Je logeai deux jours et deux nuits dans sa cure. Je lui parlai de Lanza del Vasto, que j'avais rencontré en 1973 et qui m'avait fait si forte impression. Il me dit aussitôt  :

– Je l'ai connu ! Il est venu me voir pendant la guerre. Il s’intéressait aux rouets et comment en fabriquer, et avait appris que  j’en avais plusieurs modèles. Je me souviens bien de lui.

Et le lendemain :

– Venez, nous allons chez des amis.

– Des amis ?

– Oui, des amis de votre ami.

Nous montons dans sa vieille 2CV et partons pour un village où nous débarquons chez une vieille dame. Cette dame était la tante de Luc Dietrich, et nous étions à Recologne. Elle nous reçut dans la cuisine, nous proposa une boisson. Mon vieux cousin curé n’accepta qu’un verre d’eau (avec beaucoup de difficulté… à la campagne) :

– Voyons, Monsieur le curé, vous mettrez bien un peu de sirop de menthe !

– Merci, non. Mais je vous amène un cousin qui est un ami de Lanza del Vasto (sic !)…

– Ah, Lanza ! Venez, venez en haut !

Elle nous fit entrer dans une chambre, me montra le grand fauteuil dans lequel Shantidas s’asseyait, la table sur laquelle il écrivait et où elle lui montait certains de ses repas.

– C’est ici qu’il a écrit son livre, me dit-elle (il s’agit du Pèlerinage aux sources, paru en 1943)

– Oui, il avait une très belle écriture…

– Oh ! très difficile à lire. C’est moi qui ai dactylographié tous ses manuscrits. Il partait marcher longuement dans la campagne et revenait écrire le soir.

Sur ce nous revoilà dans la cuisine, avec un nouveau verre de sirop pour moi et d’eau pour l’Abbé Garneret.

– Monsieur le Curé, un petit peu de sirop...

Et nous voilà repartis. Arrivés dehors, il me dit :

– Comme c’est difficile d’avoir un verre d’eau !

Les Principes et préceptes du retour à l’évidence étaient passés par là…