Paris, 1944 : une première rencontre décisive

Paul et Simone Rendu (1926 et 1930)

C’est au cours de l’année universitaire 1943-1944 que j’ai rencontré Shantidas pour la première fois. Son livre Le pèlerinage aux sources était sorti en novembre 1943 des presses de l’éditeur Denoël.

L’auteur était resté pour quelque temps à Paris, ayant trouvé un local à louer dans le Quartier Latin, rue du Faubourg Saint-Jacques, à l’endroit où celle-ci s’élargit pour former la place de l’Estrapade. Il s’y livrait à l’une de ses occupations favorites, la sculpture sur bois et le ciselage de petits objets. La renommée que lui valut son livre ne tarda pas à attirer vers lui des visiteurs désireux de le rencontrer et de lui poser des questions sur son expérience de la non-violence auprès de Gandhi.

Ces visiteurs étaient de différents âges et de diverses conditions sociales. Je le constatai, le jour où ma jeune sœur, qui n’avait pas encore quinze ans, me décida à l’accompagner et à me joindre au petit groupe de lycéens dont elle faisait partie. Passionnés par la lecture du Pèlerinage aux sources, que je n’avais pas encore lu moi-même, ils avaient résolu d’aller voir son auteur.

Je n’ai pas la mémoire exacte de la date de notre entrevue avec Lanza mais je pense qu’elle eut lieu vers le mois d’avril 1944.

Nous nous sommes approchés de la porte qu’on nous avait indiquée, la porte toute simple d’un immeuble modeste. Notre coup de sonnette resta d’abord sans effet. Au bout d’un moment, une femme d’une cinquantaine d’années, sans doute la concierge, est venue nous ouvrir, d’un air excédé, et, sans même nous demander qui nous voulions voir, nous dit : « Il est là, dans son atelier, et je pense qu’il vous recevra ». Il nous parut clair qu’elle en avait assez d’être dérangée pour ce locataire qu’elle semblait considérer comme un original, en tout cas étranger au milieu qu’elle avait l’habitude de fréquenter. Elle nous indiqua alors une porte donnant sur la cour. Elle ouvrait sur une pièce presque nue, qui communiquait par une autre porte avec l’atelier d’où nous vîmes sortir Shantidas, en tenue de travail.

Dès qu’il nous apparut, nous fûmes impressionnés par sa stature, son allure, sa grande barbe, l’éclat de son regard pénétrant. Il nous en imposait mais n’était ni hautain ni distant. Sans s’étonner de notre jeune âge, il nous adressa quelques mots d’accueil et nous invita à lui poser très librement toutes les questions que nous voulions aborder avec lui. Au cours de cet échange, une dame en manteau de fourrure nous rejoignit et ne tarda pas à prendre la parole, souhaitant visiblement attirer sur elle l’attention de notre interlocuteur.

Je n’ai pas de souvenir précis du contenu de la conversation mais, à un moment où il était question de la place de l’argent dans la société, Shantidas manifesta le peu d’importance qu’il accordait à la richesse. Tout ce qu’elle apporte lorsqu’on meurt, dit-il, c’est un corbillard orné de plumes, Il nous sembla que ces mots étaient prononcés à l’intention de la dame en manteau de fourrure. Elle ne tarda d’ailleurs pas à prendre congé.

Tout ce que je sais, c’est que je fus littéralement fasciné par Shantidas. Lorsqu’il tournait son regard vers moi, je fixais mes yeux sur les siens en me disant : « Cet homme est celui que j’attends, c’est lui que je voudrais suivre, ses propos me convainquent et me libèrent. C’est lui que je voudrais avoir pour maître spirituel. »

Je ne me doutais pas que ma rencontre suivante avec Shantidas n’aurait lieu que treize ans plus tard, lorsqu’en 1957, je devins membre du Comité Résistance spirituelle, dont l’Arche faisait partie, et que je me rendis plusieurs fois rue du Landy à Clichy, où Shantidas et deux de ses compagnons avaient entrepris un jeûne de vingt jours contre les tortures en Algérie. C’est ainsi que je fis la connaissance de Simone Wasmer, dite le Bouvreuil, ancienne de Bollène, que j’épousai en septembre 1957, il y a cinquante-cinq ans maintenant. Ce lien très fort avec l’Arche, qu’elle symbolise toujours pour moi, a été entretenu par des activités militantes aux côtés de Shantidas au cours de la guerre d’Algérie, par des lectures des écrits de Lanza, en particulier du Pèlerinage et de Principes et préceptes du retour à l’évidence, ce dernier livre ayant été une référence constante pour notre couple, et par de courts séjours dans les communautés de La Chesnaie et de La Borie-Noble.

Notre rencontre récente, en Bretagne, avec Philippe et Laurence a ravivé des souvenirs et des attachements anciens dont nous avons constaté, Simone et moi, qu’ils n’avaient rien perdu de leur importance pour nous.

Paix, force et joie !