Un vrai coup de foudre...

Nicole Marot, dite Dahlia (1945)

J’ai découvert Lanza del Vasto en 1968 par la lecture des Approches de la vie intérieure. Cet homme était encore en vie ? Il vivait dans une communauté dans le sud ? Je me suis aussitôt libérée pour aller à un camp d’été à la Flayssière. Et là, un vrai coup de foudre ! Tout me plaisait, même dormir sur la paille dans les grands dortoirs de la grange, avec les loirs et les bougies. Début 1969, changement de vie radical : après quelques mois de stage, je demande à entrer dans la communauté.

Le chapitre sur la beauté du compromis dans les Approches, a été essentiel pour moi. « La beauté du compromis, c’est que quelque chose soit fait » ! À 23 ans, j'étais trop absolue, trop idéaliste, trop loin des réalités : cet enseignement a complètement changé mon approche de la vie. Tous les apprentissages devenaient alors possibles : coudre, chanter, danser, jardiner, jouer dans des pièces de théâtre, faire le fromage, jeûner pour le Biafra… « C’est en faisant que l’homme se fait ».

La méditation sur l’arbre, prônée par Shantidas, m’a structurée jour après jour. Enracinement, stabilité, profondeur, incarnation, fidélité, patience, de belles et fortes leçons de vie qui m’accompagnent encore aujourd’hui. Racines, tronc, feuilles, fleurs, fruits et graines : avec l’arbre, je parcourais le cycle de la vie. J’écrivais alors à mes parents : « Tout m’est donné, je veux dire une vie équilibrée par le travail manuel, la prière, l’étude des livres, les multiples contacts humains, le bon air, la bonne nourriture, la beauté, le silence, puis le chant, la danse… Je me reconstruis solidement. » « Je vous envoie l’air pur de Nogaret, le son joyeux, impératif ou timide de la cloche, selon celui qui la fait sonner, et l’odeur de nos sapins quand on descend à la Borie, sous les étoiles, dans la nuit froide. »

J’ai aimé la beauté de la vie dans l’Arche, où j’ai vécu vingt ans avec mon mari Jean-Claude, arrivé lui en 1970. C’est en communauté qu’ont grandi nos deux filles Sophie et Fanny, à Nogaret, la Borie-Noble puis Bonnecombe : des lieux de vie magnifiques ! À la Borie nous avons vécu avec Shantidas et Chanterelle jusqu’en 1980. De notre grande malle aux souvenirs, je tire aujourd'hui quelques instants de vie…

Noël 1969 : je revois la sérénade donnée à Shantidas et Chanterelle, avec nos lanternes, dehors. Il faisait une nuit très claire et très belle. Ils étaient à leur petite fenêtre, là-haut, encadrant tout juste leurs deux visages. Deux ombres dans la lumière des bougies qui éclairaient leur chambre... Avec Clara et Suzanna nous avons chanté et dansé des Noëls espagnols.

Le 19 mars 1972, Shantidas commence un jeûne de quinze jours pour soutenir la lutte des paysans du Larzac. Le 3 avril suivant, Jean-Claude et moi nous marions à la Flayssière. Tout juste de retour du Larzac, Shantidas rompt le jeûne pour la fête du mariage. Vols-au-vent, vin, roquefort, gâteaux : qui a parlé de rompre le jeûne progressivement, avec des jus de fruits ?

Un matin qu'il partait en tournée de conférences avec sa valise en osier, Chanterelle l’interpelle de loin : « Shantidas, vous avez oublié ceci… » Réponse : « Je - suis - parti ! » Il aimait partir…

À partir de 1977, dans les dernières années de sa vie, j’ai été sa secrétaire. Je préparais ses tournées, souvent chargées et fatigantes, mais il ne se plaignait jamais. Parmi ses conférences, il y avait « Le prix de la liberté », un thème qu’il chérissait. Quand il était à la Borie, je passais faire le point avec lui le matin pour son courrier. Il défendait sa pensée avec force, souvent avec humour, mais il ne transigeait ni sur le fond ni sur la forme !