Une équipée théâtrale

Patrick Fauconnier (1943)

J’avais 5 ans quand Lanza del Vasto et sa communauté sont arrivés à Tournier en 1948. Ils occupaient une dépendance de la maison de mes parents, Charles et Marie-Thérèse Fauconnier. Ceux-ci avaient en effet entendu parler de Lanza par une amie parisienne aveugle, Denise Robert, qui allait écouter toutes les conférences de Shantidas rue Saint-Paul. Ils recherchaient à ce moment-là un ouvrier agricole, et il s’est trouvé que Lanza et son épouse Chanterelle leur avaient proposer d’exercer cet emploi, avec la petite équipe de leur communauté naissante. C’est ainsi que la première communauté de l’Arche s’est implantée chez nous, jusqu’en 1952.

Pendant ces quatre années, une des choses qui m’ont le plus marqué eut lieu en mars 1951. Lanza del Vasto, qui venait d’achever d’écrire La Passion, avait été invité à jouer la pièce à Paris, à l’église Saint-Séverin. Un bus était venu chercher tous ceux qui jouaient un rôle dans cette pièce de théâtre, y compris notre famille : je jouais le rôle d’un diablotin, et ma mère, pourtant si active, devait représenter la Paresse dans la danse des péchés capitaux… Or nous étions en saison humide et boueuse, et en bas de la côte qui menait à notre ferme, le bus a glissé dans le fossé. Il a fallu chercher tous les chevaux disponibles des environs pour parvenir à l’en retirer ! Finalement, le véhicule et sa vingtaine de passagers ont pu repartir.

Première étape à Poitiers pour visiter la magnifique cathédrale. Des badauds s’approchent du groupe, observant avec curiosité ces pèlerins vêtus de laine blanche, à l’allure indéfinissable. Ma mère surprend une conversation dans la foule :
– Qu’est-ce que c’est que ça, à ton avis ?
– Je ne sais pas ce que c’est, mais ce serait moi, je te foutrais tout ça en taule !
Alors Madame Lanza, mère de Shantidas, s’est approchée de mes parents pour leur dire :
– Charles et Marie-Thérèse, éloignons-nous un petit peu, voulez-vous ?...

Après une autre halte à Tours, nous arrivons à Paris. D’énormes grèves perturbaient la ville, si bien que des chars patrouillaient dans les rues ; étrange spectacle pour des non-violents ! Le « petit diable » que j’étais courait partout dans l’église et dans les rues alentour. De fait, j’étais rarement sorti de notre ferme et je découvrais la capitale avec une immense curiosité... Cela inquiétait beaucoup ma mère, surtout quand elle m’a retrouvé en compagnie de trois clochards avec qui j’avais sympathisé !

Quant à cette représentation inoubliable, elle est relatée ici, sous le titre : « La Passion donnée à Saint-Séverin ».